mardi 19 avril 2011

Carnets de marche 2011 (5)


Nuit de pleine lune sur la Grande Ligne à Sacré-Cœur-de-Marie. Une lumière goulue se pose sur un silence humide et donne un relief d'outre-tombe à cette route vallonnée, toujours en terre battue. Quoique blafarde, elle découpe finement le contour acéré du Grand Morne qui, vu de si près, gruge quelques constellations d'étoiles. C'est sur cette montagne aux faces abruptes que j'ai appris le vertige et, à mon corps défendant, quelques principes élémentaires d'escalade!
J'avance, sans crainte, au beau milieu de la route, moins graveleux. Ici, on entend venir la civilisation bien avant qu'elle ne vous enveloppe dans un nuage de poussière et qu'elle vous assourdisse souvent avec le claquement d'un moteur essoufflé qui agonise.
Je marche ainsi, longuement, comme dans un rêve éveillé dans une pénombre qui sent bon le foin frais coupé. Je m'arête invariablement, au pied de la montagne, sur le pont au tablier de bois pour entendre le souffle court de la rivière devenue ruisseau et au-dessus duquel flotte néanmoins quelques nuées de brume filamenteuses. Dans le pacage voisin, des vaches, rêvant de trains, s'étonnent à peine de cette ombre furtive qui fend à nouveau la nuit. Un ululement provoque un soudain mouvement de panique chez des souris, jusque-là discrètes et à leurs affaires…
Pendant des années, j'ai peuplé mes saisons à faire et refaire, à l'endroit comme à l'envers et par tous les temps, ce trajet sans jamais vraiment en faire le tour. Il n'habite plus désormais que mes rêves et mes réveils sont toujours nostalgiques.

(photos Marco Levasseur)

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