jeudi 28 avril 2011

Carnets de marche 2011 (7)


Réfugié climatique sous un porche étroit, j'admirais la pluie habiller avec élégance un vent débridé qui, de son côté, s'acharnait à déshabiller tout ce qui était sans ancrage dans la rue, y compris la courte et décolletée robe blanche d'une jeune femme, hésitant entre le plaisir des caresses chaudes de la pluie et le désagrément d'être ainsi dénudée et exposée aux regards indiscrets.
J'étais encore distrait lorsqu'une rafale m'entraîna sans trop le vouloir au cœur de la dispute d'un couple, de toute évidence indifférent au temps maussade, étant lui-même déjà tout à l'orage… Leurs échanges qui me parvenaient par brides, portés par les bourrasques de vent, me firent vite comprendre que leur promesse d'amour éternel ne passerait pas la nuit… Comme pour confirmer mon diagnostic, la main de la femme tonna sec sur le visage rembruni du gars, puis, en un éclair, elle quitta la scène toutes voiles dehors, des embruns dans les yeux…
Quand le temps nous impose de nous arrêter, c'est parfois la vie qui marche jusqu'à vous!

samedi 23 avril 2011

Soyons éternels pendant qu'il est encore temps!


En cette fête de la renaissance, souhaitons-nous d'être éternel le plus longtemps possible!
JOYEUSES PÂQUES


Carnets de marche 2011 (6)

(photo Luc G. ou Sophie P.)

J'aime bien les matins qui se lèvent alors qu'ils sentent toujours la nuit; qui conservent encore dans le fond de l'air le souvenir extasié d'amours furtifs, de plaisirs coupables. Des matins dont les horizons ont le souffle court, l'épiderme rose, et le teint gêné, couleur rouge péché, d'avoir été ainsi surpris par un promeneur-voyeur. J'aime bien ces matins qui te soufflent dans la bouche ce goût sec et rare du bonheur, comme ils t'imposent celui de la terre lors des étés sécheresses.
J'apprécie moins les matins qui exultent la misère, la violence ou le naufrage amoureux; ces matins qui se cachent derrière la lumière hésitante du jour pour que le marcheur ne les remarque pas. Plus difficiles à apprivoiser ces aurores sans ombre et dont le silence coupable laisse deviner de récentes et prévisibles tragédies sur une terre si pauvre que les coups y poussent plus vite que l'espoir. Je marche souvent alors d'un pas plus haletant comme pour échapper à ce silence pesant que seuls troublent les cris affamés de grands oiseaux éboueurs échoués loin de la mer.

Ainsi vont mes matins… Ite missa est!

mardi 19 avril 2011

Carnets de marche 2011 (5)


Nuit de pleine lune sur la Grande Ligne à Sacré-Cœur-de-Marie. Une lumière goulue se pose sur un silence humide et donne un relief d'outre-tombe à cette route vallonnée, toujours en terre battue. Quoique blafarde, elle découpe finement le contour acéré du Grand Morne qui, vu de si près, gruge quelques constellations d'étoiles. C'est sur cette montagne aux faces abruptes que j'ai appris le vertige et, à mon corps défendant, quelques principes élémentaires d'escalade!
J'avance, sans crainte, au beau milieu de la route, moins graveleux. Ici, on entend venir la civilisation bien avant qu'elle ne vous enveloppe dans un nuage de poussière et qu'elle vous assourdisse souvent avec le claquement d'un moteur essoufflé qui agonise.
Je marche ainsi, longuement, comme dans un rêve éveillé dans une pénombre qui sent bon le foin frais coupé. Je m'arête invariablement, au pied de la montagne, sur le pont au tablier de bois pour entendre le souffle court de la rivière devenue ruisseau et au-dessus duquel flotte néanmoins quelques nuées de brume filamenteuses. Dans le pacage voisin, des vaches, rêvant de trains, s'étonnent à peine de cette ombre furtive qui fend à nouveau la nuit. Un ululement provoque un soudain mouvement de panique chez des souris, jusque-là discrètes et à leurs affaires…
Pendant des années, j'ai peuplé mes saisons à faire et refaire, à l'endroit comme à l'envers et par tous les temps, ce trajet sans jamais vraiment en faire le tour. Il n'habite plus désormais que mes rêves et mes réveils sont toujours nostalgiques.

(photos Marco Levasseur)

dimanche 17 avril 2011

Carnets de marche 2011 (4)

(photo Luc G ou Sophie P)

Qu'ils soient dénudés, modestes, prétentieux, ou encore ombragés et infinis comme l'éternité, j'aime, depuis toujours, errer dans les cimetières. Une façon présomptueuse peut-être de piétiner la Mort tout en respectant ses convives! C'est devenu aussi, avec le temps, une façon de visiter les proches, de plus en plus nombreux, qui en ont fait leurs ciels…
Je les fréquente à l'aurore ou au crépuscule pour leurs lumières oblongues et dansantes qui s'agenouillent au pied des épitaphes; pour leur silence monastique à peine profané par le chuchotement du chant des oiseaux et le bruissement du vent qui semblent murmurer des incantations pour le repos des âmes et nous exhorter à vivre pleinement pendant qu'il est encore temps.
Je garde ainsi d'impérissables souvenirs de ballades dans les cimetières du Mont-royal, dans ceux de Sète dont les stèles embrassent la mer, ainsi que de l'atmosphère fantomatique de celui abandonné de la paroisse Saint-Maurice, au milieu d'un quartier dont il ne reste plus que les rues et le solage des maisons envahis par les herbes ou avalés par le puits de la mine Beaver...
N'empêche, je les marche désormais avec un pincement au cœur, ému qu'ils soient une espèce en voie d'extinction, remplacés par des lofts impersonnels où s'entassent, les unes sur les autres, des urnes désincarnées. Qui donc, à l'avenir, se plaira à fréquenter ces endroits où il n'y a plus de place que pour la mort?

Carnets de marche 2011 (3)

J'arnaquais du temps au travail, en flirtant avec un sentier maskoutain, lorsque j'ai appris qu'elle nous avait détroussé de sa propre vie! C'est donc le pas plombé et la tête en manège que je suis entré chez elle pour inventaire. Rarement paysage aussi petit m'a semblé contenir autant d'absence! Jamais un tel vide ne m'a envahi jusqu'à m'y perdre, par manque de repères…
Comme on le fait en forêt lorsqu'on est perdu, je me suis assis par terre, attendant qu'un miracle survienne, qu'un indice me prenne par la main et m'explique l'inexplicable, qu'un murmure émane des murs ou des ombres pour me susurrer à l'oreille sa muette souffrance. Je n'ai ressenti qu'une longue et sourde hébétude…
Quand les heures saignent de nos moments estropiés, il est souvent difficile d'arrêter l'hémorragie, puis de se remettre en marche. J'en ai passé du temps zombie avant d'échapper à cette soudaine indifférence au monde extérieur et à ce regard constamment tourné vers l'intérieur sur ma culpabilité et son absence… Lorsque j'ai retrouvé le goût des heures et celui d'arpenter à nouveau le monde, j'ai vite réalisé qu'il se portait plutôt bien, totalement indifférent à mon absence!

samedi 16 avril 2011

Carnets de marche 2011 (2)

(photo F. da Silva)

Je promène mon regard sur l'inattendu des matins, sur ces petits détails qui font que le temps échappe à l'immuable, que le monde change, même s'il se transforme avec la lenteur rassurante des habitudes plutôt qu'à celle, vertigineuse et folle, de nos rêves…
La marche, au fil des ans, m'a insufflé une patience que je ne me connaissais pas… et qui m'échappe encore parfois! Elle m'a fait prendre la mesure des heures, la musique et la cadence de l'air du temps, le souffle de mes pas, le murmure de l'inspiration…
Marcher, me semble-t-il, donne du sens et du relief à ce paysage si souvent abstrait qu'est ma vie!

jeudi 14 avril 2011

Ville au vent

Cette nuit
La douleur du vent
Qui se déchire
Sur les arêtes
De la ville
M'a réveillé
Je l'ai veillé!

Carnets de marche 2011 (1)



Je marche de mémoire dans des pas laissés sur la poussière fine de mes souvenirs. L'automne est impressionniste. La nuit a étouffé le jour prématurément, une pluie fine délave les dernières couleurs bigarrées avant que le paysage se dénude de ses dernières parcelles de vie.

J'y erre pour qu'un peu de poésie dilue ma rage… une de ces nombreuses colères incontrôlables qui s'abreuvent aux incertitudes et aux maladresses de l'adolescence.

D'ailleurs, je respire mieux, plus sensible aux effluves boisées qui émanent d'une terre détrempée. Un vent léger m'arrache des frissons et souffle, une à une, les lumières des quelques maisons sur le Chemin du mont Granit. Des rêves se glissent déjà sous la couette chaude et rassurante de la pénombre.

Je m'arrête un instant au coin de la 9e rue… Ma ville utérine s'étire langoureusement, en bas, dans la vallée, la tête et les pieds posés entre les haldes d'amiante…

Je grimpe l'escalier en colimaçon derrière mon chez moi d'adoption. Sa réverbération métallique me ramène à la musique du présent et à un printemps frileux et pluvieux. Je souris… Ce matin, j'ai aussi beaucoup marché dans ma tête!